“I’ve seen things you people wouldn’t believe. Attack ships on fire off the shoulder of Orion. I watched C-beams glitter in the dark near the Tannhäuser Gate. All those moments will be lost in time, like tears in rain.” – Roy Batty
Blade Runner (1982) est un film que j’affectionne particulièrement. Il ne s’embarrasse pas de longues expositions ou de dialogues explicatifs pénibles pour le spectateur. L’histoire est narrée par de longues séquences à la chorégraphie envoutante dans lesquelles elle est montrée plutôt que racontée. Les musiques de Vangelis accompagnent l’expérience presque onirique du spectateur qui se trouve plongé dans un monde de signes où chaque objet, regard… possède un fragment de réponse à la question que le film veut nous poser.
Où commence notre humanité ? Qu’est-ce qui nous définis en tant qu’humains ? Est-ce notre vécu, nos souvenirs ? Nos sentiments ? Aucune réponse n’est apportée à la fin. À la place nous assistons, comme Deckard, au monologue de Roy. Impuissants face à la réalité de ce moment et à l’inévitable conclusion qui s’en suit ; la mort. La force du message n’en est que plus imposante.
Roy est une machine, un androïde (réplicant dans le film), reproduction quasi parfaite d’un être humain. Sa durée de vie est limitée et ses souvenirs implantés dans le but de lui créer une illusion du « soi ». Il est le chef d’un groupe de réplicants rebelles dont l’objectif est de trouver un moyen de rallonger leur durée de vie. Étant considérés comme « défectueux », un Blade Runner (Deckard) est envoyé à leur poursuite pour les « retirer » de la circulation.
« I think, Sebastian, therefore I am. « – Pris
Blade Runner présente une société consumée par les excès et où le capitalisme a atteint son paroxysme. Les humains sont devenus comme des machines : vivants dans un monde rigide, suivants des ordres et routines, où les sentiments sont superflus. Le monde est gris, surchargé par les néons des panneaux publicitaires et le ciel assombris par des nuages de pollution. Les individus se perdent dans la masse et la consommation devient la réponse à une dépression sociale grandissante ; l’empathie disparait petit à petit. Les humains que nous croisons semblent indifférents au sort d’autrui, certains réfèrent même aux réplicants en les appelants des skin-job. Même la réticence de notre ‘héros’, Deckard, à prendre les réplicants en chasse est présentée comme due à la nuisance que l’acte représente pour lui plus que par humanité ou pitié pour eux. Son attitude dénote un manque d’empathie, il agit avec détachement et presque mépris envers ceux qu’il considère comme de simple machines.
Rachael: It seems you feel our work is not a benefit to the public.
Deckard: Replicants are like any other machine – they’re either a benefit or a hazard. If they’re a benefit, it’s not my problem.
Deckard est un anti-héros ; il n’est ni digne ni noble et ne lutte pas contre le destin. Bien loin d’être une figure glorieuse il incarne un personnage auquel on peut s’identifier. Deckard est à notre niveau ; il doute, hésite, échoue. Là où une figure héroïque plus glorieuse et mythologique transfigurerait le monde et les autres personnages par son aventure, c’est Deckard qui est transfiguré par les réplicants (surtout Roy) et son aventure à la fin de l’histoire.
Deckard: [narrating] They don’t advertise for killers in the newspaper. That was my profession. Ex-cop. Ex-blade runner. Ex-killer.
Les pistes se brouillent et le film nous invite à questionner les actions de Deckard et des réplicants. Ces derniers sont d’abord déshumanisés, présentés comme de dangereuses machines à tuer. Mais celui qui tue est Deckard ; décrit comme un one-man slaughterhouse par son supérieur.
Pour comprendre le monologue final de Roy il est important de comprendre le contexte de celui-ci. Pour cela il faut faire preuve d’empathie. Ce que veulent les réplicants c’est vivre. C’est une chose à laquelle nous pouvons nous rattacher; l’envie de vivre, de continuer à éprouver, ressentir … C’est cela qui pousse Roy et son groupe à la rébellion. Imaginez découvrir soudainement que votre existence et vos souvenirs sont fabriqués de toutes pièces. À quoi peut-on encore se rattacher dans cette situation ? La réponse la plus simple ; vivre. Bien qu’ils soient le résultat d’un processus industriel les réplicants sont vivants. Il échangent, découvrent, évoluent dans le monde et surtout ressentent. Tout comme certains personnages dans le film on pourrait argumenter que ces sentiments ne sont que le produit, le résultat, de l’endoctrinement des réplicants et par conséquent qu’ils sont faux ; ce ne sont pas de « vrais » sentiments. Il ne s’agit donc là que de machines qui remplissent leur fonction principale ; donner l’illusion d’êtres humains. Mais cela n’est pas important ; car pour les réplicants ces sentiments sont bien réels.
En cela l’humanité de Roy nous questionne ; Lorsque les machines que nous créons deviennent plus humaines que nous, que sommes-nous devenus ?
» « More human than human » is our motto. » – Eldon Tyrell